LEGENDES

La Légende Féérique

Michèle CABANA

Il était une fois une jeune fée espiègle qui, voulant s’amuser aux dépens des hommes, s’ingénia à créer l’ivraie et l’introduisit dans les champs de blé.

Ses aînées furieuses lui enlevèrent ses pouvoirs à l’exception d’un seul dont elle devait se servir pour apporter à l’homme un bienfait.

La petit fée, passa des jours à réfléchir.

Un beau matin, assise au pied d’un arbre, elle observa un oiseau qui sautillait de branche en branche et s’émerveilla de son agilité. Puis, elle croisa une rose, et fut fascinée par sa grande beauté. Et du coup, l'idée lui vint !

Cueillant la rose et la tenant d’une main, elle souhaita qu’une créature aussi agile que l’oiseau et aussi belle et gracieuse que la rose fut donnée à l’homme... et un chat apparût!

Ainsi "tout comme les roses, le chat ne griffe que ceux qui ne savent le prendre".



L'or de chat

Légende de Bretagne

Au pays de Saint-Malo, il y avait naguère plus de fées dans la mer et sur les grèves qu'on ne comptait de bergères dans les landes. Un soir de lune, une troupe de fées se livraient à la danse ronde. Il arriva que douze jeunes gens étaient en fête, quand ils furent un peu chauds de boire, ils décidèrent d'aller inviter à la contredanse les belles fées de la grève.

Mais, au cours de la danse, elles s'aperçurent que les garçons avaient le souffle court et les jambes de laine, et elles entrèrent en fureur. D'un coup de leur baguette, elles changèrent les malappris en six gros matous noirs et six chattes blanches.

Quand elles virent les pauvres animaux miauler de détresse, la bonté naturelle des fées de Saint-Malo leur attendrit le coeur, et elles promirent aux farauds de les rétablir dans leur forme première aussitôt qu'ils auraient filé, pour chacune d'elles, un manteau d'or et une robe d'argent tissés dans le seul mica de la grève. La tâche n'eut pas été longue si les fées n'avaient précisé qu'ils ne pourraient filer que durant les douze coups de minuit.

Les six matous et les six chattes se mirent au travail sans attendre. Lorsque toutes les fées furent habillées, elles frappèrent les chats de leur baguette et en refirent des humains. On ne dit pas si plusieurs siècles avaient passés sur leur tête.

Ce qui est sûr, c'est qu'il est très rare de voir de vrais chats s'égarer sur le sable de mer. A Saint-Malo, pourtant, "argent de chat" est le nom du mica gris. Quand ce mica s'allume d'un reflet blond, il devient "l'or de chat", dont se tissait jadis le manteau d'apparat des Dames de la Mer.



Les Chats Sorciers

Contes et légendes de Bretagne

Jadis les chats dont on avait point coupé le bout de la queue avaient coutume de s'assembler à jour fixe : on les voyait réunis au clair de lune sur quelque lande déserte, non loin des Roches-aux-Fées et des Pierres-Debout. Ils délibéraient, graves comme des prêtres à l'église, et personne n'aurait osé passer près d'eux et encore moins les déranger quand ils tenaient leurs réunions pleinières. On racontait à la veillée d'étranges et effrayantes histoires à des gens assez audacieux ou assez fous pour avoir voulu se mêler à leur société : les uns étaient morts subitement, d'autres avaient été si terrifiés de voir tous les chats darder vers eux leurs prunelles brillantes comme des charbons ardents et les regarder d'un air irrité que leurs cheveux étaient devenus blancs en une nuit, et ils tremblaient encore rien qu'en pensant aux assemblées nocturnes des matous.

Jean Foucault s'en revenait par une belle nuit de la foire où il s'était un peu attardé dans les auberges, parce que le cidre était bon cette année-là. Il était tout joyeux et marchait gaiement en chantant à tue-tête, lorsqu'au détour d'un chemin creux il aperçut tout à coup une nombreuse réunion de chats rangés autour d'une croix de pierre. Il y en avait de toutes les grosseurs, et de toutes les couleurs ; à la vue de tous ces matous, la voix du chanteur s'étrangla dans son gosier, et il se mit à trembler comme un homme qui a les fièvres, car les chats poussaient des miaulements irrités, voûtaient leurs dos souples où le poil se hérissait, redressaient leurs queues et le regardaient avec des yeux qui luisaient dans la nuit.

Sa terreur augmenta encore lorsqu'il vit le plus gros de la bande accourir vers lui : il ferma les yeux, s'attendant à être mis en pièces et récita son acte de contrition. Mais, au lieu de sentir les griffes du chat s'enfoncer dans sa chair, il s'aperçut que l'animal se frottait le long de ses jambes en faisant un ronron joyeux comme s'il avait eu envie d'être caressé. Jean Foucault ouvrit les yeux et reconnu son propre chat qui se mit à marcher devant lui, et qui tantôt le précédait, tantôt revenait vers lui et le caressait avec sa queue.

Quand Jean Foucault arriva avec son conducteur à l'endroit où était l'assemblée, les matous étaient assis tranquillement car le chat avait dit à haute voix à ses confrères : "Laissez passer Jean Foucault ".



Les Seigneurs des Saigneurs

Les renseignements et les témoignages cités sont extraits des livres :
- Le Musée des Vampires (Roland Villeneuve et Jean-Louis Degaudenzi)
- Le Livre des Vampires (Manuela Dunn Mascetti)

Carmilla est l'anagramme de Mircalla, comtesse de Karnstein. Depuis des siècles, elle apparaît à intervalles réguliers sous divers noms qui sont tous des anagrammes de l'original, Millarca et Carmilla étant les plus fréquents. Les traits de la comtesse restent inchangés depuis sa mort. Elle surgit toujours sous les traits d'une jeune fille d'à peine 20 ans, à la remarquable beauté. Sa taille dépasse légèrement la moyenne. Elle est mince et merveilleusement gracieuse; ses gestes sont langoureux, et ses grands yeux, qui semblent ne jamais ciller, restent fixés longuement sur les choses. Son teint est resplendissant et ses traits délicats. Ses prunelles sont sombres, immenses et étonnamment brillantes. Quand à sa chevelure, lorsqu'elle roule défaite sur ses épaules, est superbe, longue et épaisse, soyeuse et parfumée, d'un brun chaud aux reflets mordorés. Carmilla s'exprime d'une voix douce, presque chuchotante. Sa beauté, sa grâce, ses manières exquises et sa conversation la font inviter à tous les bals de la noblesse.

On sait peu de choses sur elle, car elle demeure extrêmement discrète sur ses origines, sa famille, sa mère, sa vie ses projets et son environnements. Elle se protège en prétextant que sa mère lui a fait promettre de ne rien révéler à qui que ce soit, bien qu'elle affirme, pour ne pas blesser ses amis, qu'elle leur dira tout le moment venu. En fait, on connaît d'elle trois choses: son nom est Carmilla, ou tout autre anagramme; sa famille est noble et très ancienne et enfin, elle vit quelque part à l'ouest.

Carmilla apparaît toujours, la première fois, accompagnée de sa mère et se liant d'amitié avec une jeune fille de son âge, qui, généralement, vit seule avec son père dans quelque vieille demeure isolée. Les jeunes gens, et surtout les jeunes filles, se prennent d'amitié ou d'amour de façon impulsive, et il est attendrissant pour un père de voir sa propre fille trouver du plaisir, sinon des délices, en compagnie d'une aussi jeune et noble compagne.

Chacune des aventures de Carmilla se déroule selon le même sénario :
Sa mère est appelée d'urgence pour une affaire de la plus haute importance et elle doit donc laisser sa fille chérie. Elle la confie donc à cette famille de rencontre qui promet de bien veiller sur sa douce progéniture jusqu'à son retour, dans quelques mois. Selon la comtesse, Carmilla ne peut absolument pas la suivre dans un voyage aussi harassant, car elle est de santé fragile et un peu nerveuse. Comme elle est très belle et sincèrement attachée à leur propre enfant, les pères consentent toujours avec joie à accueillir la jeune Carmilla, ne percevant que le bonheur et la gaieté qu'elle fait entrer ainsi dans leur coeur et leur morne existence.

Carmilla a des habitudes étranges, surtout pour des hôtes somme toute assez frustres. Par exemple, elle ne descend jamais de sa chambre avant midi, ne prenant alors qu'une tasse de chocolat, sans rien manger. Lorqu'elle se promène dans la campagne, elle s'arrête rapidement,comme si elle était épuisée; elle s'en retourne alors au château ou bien elle s'assied sur un banc dans le jardin pour se reposer. La nuit, elle s'enferme à double tour car, dit-elle, elle a peur des voleurs depuis qu'un de ces malandrins s'est introduit une nuit dans sa chambre, il y a de cela quelques années, et qu'elle a cru mourir de terreur.

Pourtant, une rumeur commence bientôt à circuler :
on l'aurait aperçue rôdant à l'orée de la forêt en pleine nuit, telle une âme errante. Elle éprouve de la répugnance envers tous les enterrements. Dès qu'elle aperçoit un cortège funèbre, elle est littéralement prise d'un accès de rage, son teint devient livide, son corps se met à trembler, ses poings se serrent ... Mais cet état ne dure qu'un bref instant et elle reprend vite ses esprits, comme si rien ne s'était produit.

Carmilla est une créature extrêmement sensible, d'une grande sensualité; elle tombe véritablement et désespérément amoureuse de sa jeune compagne et n'aspire plus, alors, à rien d'autre qu'à mourir avec elle. Elle l'embrasse sur les joues ou soupire dans son cou; elle garde longuement la main de son amie contre son coeur ...

Dès que Carmilla s'installe dans une région, on commence à déplorer un certain nombre de décès, médicalement inexplicables :
Des femmes trépassent de façon inattendue après une courte maladie de 24 heures. Dans le même temps, la jeune amie de Carmilla, la victime tant aimée et tant chérie, reçoit les visites nocturnes d'une " chose " qui a l'apparence d'un énorme chat aux allures sinistres déambulant sans cesse, comme un fauve en cage. Plus la pièce s'assombrit, plus la " bête " s'approche, pour finalement sauter sur le lit. La victime ressent alors une douleur au niveau de la poitrine, comme si deux aiguilles s'étaient enfoncées dans ses chairs.

Carmilla possède deux facultés : elle peut se transformer en chat et se rendre invisible.

La véritable histoire de Mircalla, comtesse de Karnstein est triste et singulière. De son vivant, au cours de l'année 1698, elle fut mordue par un vampire et devint vampire elle-même. Un ancêtre du baron Vordenburg, l'homme qui parvint à la détruire quelques siècles plus tard, l'aimait à la folie, bien qu'il la soupçonnât de vampirisme. Il vivait dans la terreur de voir un jour les restes de son grand amour profanés par des rituels posthumes bien connus et censés exterminer les vampires. Le baron avait laissé un curieux document, dans lequel il s'appuyait sur d'anciens livres d'occultisme pour démontrer que le vampire, une fois " tué " était rejeté vers une existence bien plus horrible encore.

Souhaitant épargner un pareil sort à sa bien-aimée, il se rendit au château des Karnstein et prétendit emporter la dépouille de Mircalla :
En réalité, il changea seulement l'emplacement de la sépulture, creusant la nouvelle tombe sous des fondaisons inaccessibles. Au moment de mourir, il se rendit compte qu'il avait rédigé un journal révélant tous les détails de cette opération et pouvant guider d'éventuels chasseurs de vampires vers l'endroit secret où reposait Carmilla. Ce journal contenait aussi une confession de la supercherie qu'il avait mise en place.

Le village attenant au château des Karnstein fut abandonné après la mort de la comtesse, et les descendants des domestiques qui la servirent crurent que la comtesse avait été bel et bien trouvée, et que son appartenance au monde effroyable des vampires ayant été prouvée, elle avait finalement été détruite. Mais il n'en était rien, et la belle comtesse continuait à égorger les femmes par centaines, jusqu'au moment où l'on découvrit l'emplacement de son tombeau. On lui perça le coeur, et ses restes, réduits en cendres, furent jetés dans la rivière.

On se sait toujours pas, en revanche qui est cette dame distinguée qui se présentait comme la mère de Carmilla. Ni où elle se trouve en ce moment...


Les 2 chats blancs de Wangen

D'après Auguste Stoeber, Revue d'Alsace, 1852
«Études mythologiques sur les animaux fantômes en Alsace»,

A Wangen, l'angélus sonne.
Soudain, surgissant de nul part, on les aperçoit, assis là, sur le mur du cimetière, mystérieux, avec leurs yeux écarquillés qui scintillent dans le crépuscule. Ils restent lovés là, immobiles.

L'histoire commence pendant l'effroyable guerre de Trente Ans. En 1643 une troupe de soldats français à pris place forte dans le château de Wangen. La nourriture, qui était rare pour le peuple dans cette longue guerre, devint encore plus rare. Pourtant, ce n'est pas le grain qui manquait. Les soldats avaient pillé toutes les réserves environnantes, réquisitionnant aux habitants leurs stocks de nourriture. À Wangen tout cette récolte fut amoncelé dans les greniers du château; Ces vivres étaient réservés à la troupe, et les pauvres gens commençaient à crier famine.

Le Schultheiss [maire du village] alla trouver le magicien du village, qui habitait devant la porte basse de la ville avec sa femme.
"Que faire devant tant d'injustice et de misère?", lui demanda-t-il.

Le vieil homme écouta longuement les doléances du dignitaire et le rassura.
- Bientôt une armée de souris se répandra dans la ville. Ne leur jetez pas la pierre et ne les chassez pas de vos balais. Ces animaux seront là pour vous aider. Revenez dans huit jours et vous aurez tous les grains nécessaires!

Le lendemain le capitaine des troupes vint se plaindre chez le maire.
"Nous sommes envahis par une multitude de souris qui dévorent notre grain. Les villageois doivent se mobiliser et éradiquer l'invasions."

Le brave Schultheiss se moquait des lamentations du soldat. Il fit semblant d'ameuter la population, en ayant eu bien soin de prévenir du stratagème.
"N'en prenez cure, et laissez faire les rongeurs."

En quelques jours les souris eurent raison des grains stockés dans les greniers du donjon. Pas le moindre grains ne restait plus pour la troupe et les soldats quittèrent immédiatement la ville par manque de nourriture.

La semaine passée, le Schutlheiss retourna auprès du magicien.
"Chose promise, chose dû", dit le magicien.

Le vieil homme appela son épouse et entraîna le maire le long des grandes murailles du bastion jusqu'à une sombre tour d'angle. Il pénétrèrent par une porte haut placée, à l'aide d'une une échelle posée là. Un plancher de bois couvrait le sol de l'immense pièce vide.

Le magicien souleva une trappe et sous la mine stupéfaite du Schultheiss apparut une montagne de grains avec tout autour des centaines de souris grouillantes.
"Mais comment diable, est-ce possible?" bredouillât le maire.

L'enchanteur expliqua que les rongeurs avaient tout simplement «déménagé» leur butin du château vers cette tour pour bien en profiter tout au long de l'hiver qui s'annonçait rude. C'était mal connaître le magicien. devant le Schultheiss éberlué, le couple se transforma en deux énormes et magnifiques chats blancs. Ils se mirent à poursuivre avec agilité et hargne les souris qui, déconcertées par l'attaque, déguerpirent en une folle fuite à travers ville et champs.

C'est grâce à cette enchantement que la population de Wangen pût être rassasié tout au long de ce rude hiver.

Les magiciens disparurent à la même époque et depuis lors, de temps en temps, apparaissent les deux chats blanc. Les habitants de wangen ne connurent plus jamais la famine et l'apparition des félins est signe de bonheur car tous savent que le vieux couple de magiciens continue de veiller sur eux.


La Légende d'Ambrosie

Céline MANGIN et Audrey KOPP

Nous étions en hivers, au plus froid du mois de janvier. C'était jour de marché à Bouzonville, le gros bourg au bourg de la Nied. Le froid piquait cruellement.
Après avoir fait rapidement quelques emplettes, les commères des environs, venues se raconter le dernières nouvelles des villages voisins, s'étaient réfugiées à l'auberge " La croix Blanche ", autour d'une boisson revigorante. Leur maris les avaient précédées. Le café était bondé.
Le cafetier était si occupé qu'il ne s'était pas aperçu que son chat, un gros matou noir, se frottait contre des jambes des clients en ronronnant, quêtant effrontément une gourmandise. Il glissait de table en table, vers un endroit où la conversation était particulièrement animée. L'un des clients appela le tenancier qui s'approcha, trébucha sur son chat, vacilla, retrouva miraculeusement l'équilibre e t, furieux, houspilla le malheureux animal qui partit comme une flèche.

Assis à une table voisine, un étranger avait observé tout la scène. Il était attablé avec deux bouzonvillois qui semblaient bien le connaître. Il s'adressa au cafetier :
- pourquoi ne te débarrasses-tu pas de ce maudit matou ? Les chats noirs portent malheur, tu ne le sais pas ?
Avant que le cafetier ,surpris, ne réponde, l'un des deux hommes chuchota :
- Tais-toi, malheureux ! On voit bien que tu n'est pas d'ici ! Tu ne sais pas ce qu'on raconte dans le pays ?
Devant l'air intéressé de son amis, et surtout parce qu'un silence soudain avait soudain envahi le café, il reprit, en élevant la voix, tout fier d'être devenu le centre d'attraction des consommateurs :
- Quand j'était petit, ma grand-mère me racontait beaucoup d'histoires. Il y en a une qui m'a particulièrement marquée et dont je me souviens bien aujourd'hui encore.

Cela se passait à Alzing, son village natal. A l'écart de cette bourgade s'élevait une grande masure dont la grange avait brûlé quelques années plus tôt. Les herbes folles avaient envahi les ruines. Personne n'osait s'en approcher, à part Ambrosie, sa propriétaire, une vielle femme étrange, très étrange, qui y vivait seule. Elle s'habillait bizarrement : elle aimait porter une très longue jupe ample qui balayait le sol, un étroit corsage aux manches usées par les années, des vêtements aux couleurs voyantes, je dirais même flamboyantes.
Elle jetait sur ses épaules un vieux chandail gris rapiécé de toutes parts. Ses cheveux flottaient sur ses épaules, longs, crépus, d'un noir d'ébène. Sous son front haut, parcheminé de fines rides, s'ouvraient deux grands yeux verts bordés de longs cils noirs épais et recourbés. Son long nez étroit, cassé, séparait deux pommettes haut placées. Ses lèvres, étroites et sèches, surmontaient un menton pointu.

Etrange aussi ses faits et gestes ! Ecoutez donc un peu !
On la voyait sortir, les soirs de pleine lune, à la tombée de la nuit. Elle traversait le village et prenait la direction de la forêt. A plusieurs reprises, des jeunes gens, curieux et courageux, avaient tenté de la suivre, mais sans aucun succès. Chaque fois, en arrivant à une clairière, elle leur avait faussé compagnie, disparaissait sans laisser de trace. Malgré leur attente tenace, aucun des guetteurs ne l'avait jamais vu rentrer de ses escapades nocturnes. Et pourtant, au matin, elle était chez elle, et on la voyait qui déposait devant sa porte une écuelle de lait pour tous les chats errants des environs.
Quand ils avaient fini leur lait, ils s'asseyez en rond, et Ambrosie s'installait au milieu d'eux. Alors s'élevait un concert de ronronnements, de miaulements, de cris inhabituels. Ils se parlaient pour sûr !

L'étranger l'interrompit :
- De toute façon, je n'y crois pas à tes sornettes. Toutes les vieilles bonnes femmes s'occupent de chats qui leur tiennent compagnie. Et elles leur parlent, sinon elles deviennent folles de ne jamais parler à personne. Des contes à dormir debout, que tu nous dis là !

L'autre, contrarié, repris :
- Tu ne me crois pas ? Eh bien écoute celle-là ! Elle est aussi sur Ambrosie !
Tandis qu'il se désaltérait, le brouhaha avait repris dans la salle : on commentait cette histoire incroyable et chacun y allait de son anecdote inouïe. Mais tous se turent quand la voix du conteur s'éleva de nouveau :

J'adorais ma grand-mère, c'était une cuisinière hors paire ! J'ai encore sur la langue le goût de ses pâtisseries !
Un jour que j'étais chez elle, le Jean, un grand paysan baraqué, une vraie armoire à glace ! est arrivé en compagnie de mon grand-père. Il était rude, un peu bourru, mais il savait bien raconter les histoires.
Les deux hommes revenaient des champs, et comme le Jean l'avait aidé à couper son foin, grand-père l'avait invité à boire un verre. Je finissais mon gâteau quand j'ai entendu dans leur conversation le nom d'Ambrosie :
- Grand-père, c'est qui, l'Ambrosie dont vous parlez ?
Mon aïeul a fait celui qui n'avait pas entendu, et il a continué à discuter avec son amis. Mais le Jean m'a pris sur ses genoux :
- Ecoute, petit ! L'Ambrosie, c'est une femme étrange, très étrange. On raconte de drôles de choses sur son compte.
Il y a quelques années, on voyait souvent, à la tombée de la nuit, un gros chat noir qui se promenait dans les rues du village. C'était une grosse boule de poils noirs avec des yeux verts éclatants. Si on essayait de l'attraper, il le savait rapidement et disparaissait avec agilité. Pendant la journée, on ne l'apercevait jamais.

Il avançait sans bruit et, parfois, entrait dans une étable. Les paysans entendaient alors leur vaches meugler, mais ils n'arrivaient pas à entrer voir ce qui se passait, car toutes les portes étaient comme bloquées. Au bout d'un moment, le calme revenait et les portes restaient grandes ouvertes ; les vaches ruminaient tranquillement comme si rien ne s'était passé. Le lendemain, cependant, elles ne donnaient pas de lait. Et les paysans se lamentaient :
- Ce maudit chat noir a encore fait des siennes ! Comment allons-nous pouvoir manger, maintenant ? Plus de lait, plus d'argent ! Plus d'argent, plus de pain ! si seulement nous arrivions à l'attraper ! Mais il est malin, cet animal ! Il glisse entre les doigts avec autant d'agilité qu'une vipère.

Sans me vanter, a continué le Jean en regardant mes grands parents, je suis un excellent tireur : j'ai remporté plusieurs concours régionaux de tirs en tout genre. Et cette sale bête avait souvent tété mes bêtes, laissant mes meilleurs laitières sèches comme des taureaux !
J'ai ramassé un gros caillou et je me suis mis à l'affût près de l'étable. Quand le chat est sorti, j'ai tiré, et, au milieu des ovations de mes camarades, j'ai atteint ma cible. Le chat a miaulé horriblement, et il est parti d'un pas incertain, en boitant : je l'avais atteint à la patte de derrière, la patte droite, je m'en souviens bien ! C'est comme si c'était hier ! Il s'est éloigné vers la forêt.

Quelques heures plus tard, à la nuit tombée, l'épicier rentrait chez lui après avoir réglé quelques affaires à son magasin. La lune brillait tellement qu'on aurait pu lire le journal. Et qui voit-il sortir de la forêt, toute boitante et cahotante ?
- L'Ambrosie, ai-je demandé ?
- Oui l'Ambrosie elle même, mon garçon. Voilà un petit gars malin, n'est-ce pas, Vincent ?, dit le Jean en s'adressant à mon grand-père. Elle avait de la peine à marcher cette vieille sorcière ! Sa jambe droite semblait toute raide, et elle s'appuyait sur un bâton.
Le lendemain matin, alors que le Matz revenait de sa promenade matinale, il a vu l'Ambrosie qui déménageait à la cloche de bois, entassant tous ses meubles sur une vieille charrette empruntée à un voisin.
Etrange coïncidence : à partir de ce jour, quand Ambrosie fut partie, on ne revit jamais le gros chat noir !
J'ai fini le gâteau qui était resté inachevé dans ma main pendant toute l'histoire du Jean.

Tu vois que je ne te raconte pas de blagues, s'exclama en riant le raconteur en tapant sur l'épaule de l'étranger. D'ailleurs, si tu viens à Alzing, on te racontera bien des histoires au sujet d'Ambrosie, et on te soutiendra mordicus qu'elle vit encore !
- Jeune homme, il ne faut jamais critiquer les chats noirs ! Ils cachent peut-être un être humain, sait-on jamais ? Aubergiste, j'ai soif ! Sers nous encore une tournée !

Les commentaires avaient repris de plus belle dans le café. C'est qu'on en connaît des histoires de sorcières dans la région ! Et chacun voulait apporter son témoignage !
Tout le monde se tut de nouveau quand l'étranger se leva, paya son écot et s'éloigna avec une grâce féline. Il leur sembla soudain étrange, très étrange, avec ses yeux verts étincelants.
Le chat du cafetier, ronronnant sur le seuil, le suivit longuement de son regard énigmatique, jusqu'à ce qu'il ait disparu, absorbé par la foule.



Comment Diane fit les étoiles et la pluie

Chapitre III de l'évangile des sorcières,
Traduction française, Spartakus FreeMann (Juin 2002 e.v.)

Diane fut la première créée avant toute création ; en elle étaient toutes choses ; à partir d’elle-même, Ténèbres Primordiales, elle se divisa ; en Ténèbre & en Lumière fut-elle divisée. Lucifer, son frère & fils, d’elle-même & de sa seconde moitié, était la Lumière.

Et lorsque Diane vit que la Lumière était si belle, la Lumière qui était sa seconde moitié, son frère Lucifer, elle languît pour lui d’un immense désir. Désirant recevoir à nouveau la Lumière en sa Ténèbre, désirant l’absorber en extase, en délice, elle trembla de désir. Ce désir fut l’Aube.

Mais Lucifer, la Lumière, s’enfuit d’elle, & ne voulu pas accéder à ses désirs ; il était la Lumière qui file dans les régions les plus reculées des Cieux, il était la souris qui file devant le chat.

Alors Diane se rendit auprès des Pères du Commencement, des Mères, des Esprits qui étaient avant le Premier Esprit, & elle se lamenta auprès d’eux qu’elle ne pouvait persuader Lucifer. Et ils la louèrent pour son courage, ils lui dirent que pour s’élever elle devait chuter, que pour devenir la première des déesses elle devait devenir mortelle.

Et dans les Ages, dans course du temps, quand le monde fut créé, Diane descendit sur terre, comme le fit Lucifer, qui avait chuté, & Diane enseigna la Magie & la Sorcellerie, dont proviennent les Sorcières & les Fées & les Goblins - tous êtres à la ressemblance de l’homme bien qu’immortels.

Et il advint alors que Diane prit la forme d’un chat. Son frère avait un chat qu’il aimait par dessus toutes les autres créatures, & le chat dormait chaque nuit dans son lit, un magnifique chat plus beau que toutes les autres créatures, une Fée, mais cela il ne le savait pas.

Diane persuada le chat de changer de forme avec elle pour qu’ainsi elle puisse reposer avec son frère, & sans l’obscurité assumer sa propre forme, & ainsi par Lucifer devenir la mère d’Aradia. Mais quand au matin il découvrit qu’il reposait à côté de sa soeur, & que la Lumière avait été vaincue par la Ténèbre, Lucifer en fut très contrarié, mais Diane lui chanta un sort, un chant de pouvoir, & il fut silencieux, le chant de la nuit qui plonge dans le sommeil ; il ne pouvait rien dire. Ainsi Diane avec ses dons de sorcellerie le charma lui qui ne voulait pas céder à son amour. Cela fut la première des fascinations, elle fredonna le chant, c’était comme un bourdonnement d’abeilles, un rouet filant la vie. Elle fila les vies de tous les hommes ; toutes choses furent filées sur le Rouet de Diane. Lucifer tournait la roue.

Diane n’était connue des Sorcières & des Esprits, des Fées & des Elfes qui habitent les lieux déserts, des Gobblins, comme étant leur mère ; elle se dissimula par humilité & fut mortelle, mais par sa volonté elle s’éleva à nouveau au-dessus de tous. Elle avait une telle passion pour la Sorcellerie, & devint si puissante, que sa grandeur ne pu plus être cachée.

Une nuit passa, à la réunion de toutes les Sorcières & des Fées, elle déclara qu’elle obscurcirait les Cieux & transformerait toutes les étoiles en souris.

Tous ceux qui étaient présents dirent :
" Si vous pouvez produire une chose aussi extraordinaire, c’est que vous avez du vous élever à un très haut niveau de puissance, alors vous serez notre Reine."

Diane se rendit dans la sue, elle prit la vessie d’un boeuf & un morceau d’écu de sorcière qui a un côté comme un canif - avec un tel écu, les sorcières lacèrent la terre dans les traces de pas des hommes - & elle lacéra la terre & avec cette terre & de nombreuse souris elle en remplit la vessie & elle souffla dans la vessie jusqu’à ce qu’elle éclate.

Et alors advint une grande merveille, car la terre qui était dans la vessie devint les Cieux du dessus, & pendant trois jours il y eut une Grande Pluie ; les souris devinrent les Etoiles & la Pluie. Et ayant créé les Cieux & les Etoiles & la Pluie, Diane devint la Reine des Sorcières ; elle était le chat qui régnait sur les Souris-Etoiles, les Cieux & la Pluie.



Le Chat qui s’en va tout seul

Rudyard Kipling (1902)
Traduction de Robert d’Humières et Louis Fabulet (1903)

Hâtez-vous d’ouïr et d’entendre ; car ceci fut, arriva, devint et survint, ô Mieux Aimée, au temps où les bêtes Apprivoisées étaient encore sauvages. Le Chien était sauvage, et le Cheval était sauvage, et la Vache était sauvage, et le Cochon était sauvage — et ils se promenaient par les Chemins Mouillés du Bois Sauvage, tous sauvages et solitairement. Mais le plus sauvage de tous était le Chat. Il se promenait seul et tous lieux se valaient pour lui.

Naturellement, l’Homme était sauvage aussi. Il était sauvage que c’en était affreux. Il ne commença à s’apprivoiser que du jour où il rencontra la Femme, et elle lui dit qu’elle n’aimait pas la sauvagerie de ses manières. Elle s’arrangea, pour y coucher, une jolie caverne sèche au lieu d’un tas de feuilles humides ; elle poudra le sol de sable clair et elle fit un bon feu de bois au fond de la caverne ; puis elle pendit une peau de cheval, la queue en bas, devant l’entrée de la caverne, et dit :
— Essuie tes pieds, mon ami, quand tu rentres ; nous allons nous mettre en ménage.

Ce soir, Mieux Aimée, ils mangèrent du mouton sauvage cuit sur les pierres chaudes et relevé d’ail sauvage et de poivre sauvage ; et du canard sauvage farci de riz sauvage et de fenouil sauvage et de coriandre sauvage ; et des os à moelle de taureaux sauvages et des cerises sauvages, avec des arbouses de même. Puis l’Homme, très content, s’endormit devant le feu ; mais la Femme resta éveillée, à peigner ses cheveux. Elle prit l’épaule du mouton — la grande éclanche plate — et elle en observa les marques merveilleuses ; puis elle jeta plus de bois sur le feu et fit un Sortilège. Ce fut le premier Sort qu’on eût fait sur la terre.

Là-bas, dans les Bois Mouillés, tous les Animaux sauvages s’assemblèrent où ils pouvaient voir de loin la lumière du feu, et ils se demandèrent ce que cela signifiait.

Alors Cheval Sauvage piaffa et dit :
— Ô mes Amis, et vous, mes Ennemis, pourquoi l’Homme et la Femme ont-ils fait cette grande lumière dans cette grande Caverne, et quel mal en souffrirons-nous ?

Chien Sauvage leva le museau et renifla l’odeur du mouton cuit et dit :
— J’irai voir ; je crois que c’est bon. Chat, viens avec moi.
— Nenni ! dit le Chat. Je suis le Chat qui s’en va tout seul et tous lieux se valent pour moi. Je n’irai pas.
— Donc, c’est fini nous deux, dit Chien Sauvage. Et il s’en fut au petit trot.

Il n’avait pas fait beaucoup de chemin que le Chat se dit : « Tous lieux se valent pour moi. Pourquoi n’irais-je pas voir aussi, voir, regarder, puis partir à mon gré ? » C’est pourquoi, tout doux, tout doux, à pieds de velours, il suivit Chien Sauvage et se cacha pour mieux entendre.

Quand Chien Sauvage atteignit l’entrée de la Caverne, il souleva du museau la peau du cheval sauvage et renifla la bonne odeur du mouton cuit, et la Femme, l’œil sur l’éclanche, l’entendit, et rit, et dit :
— Voici le premier. Sauvage enfant des Bois Sauvages, que veux-tu donc ?

Chien Sauvage dit :
— Ô mon Ennemie, Femme de mon Ennemi, qu’est-ce qui sent si bon par les Bois Sauvages ?

Alors la Femme prit un os du mouton et le jeta à Chien Sauvage et dit :
— Sauvage enfant du Bois Sauvage, goûte et connais.

Chien Sauvage rongea l’os, et c’était plus délicieux que tout ce qu’il avait goûté jusqu’alors, et dit :
— Ô mon Ennemie, Femme de mon Ennemi, donne-m’en un autre.

La Femme dit :
— Sauvage enfant du Bois Sauvage, aide mon Homme à chasser le jour et garde ce logis la nuit, et je te donnerai tous les os qu’il te faudra.
— Ah ! dit le Chat aux écoutes, voici une Femme très maligne ; mais elle n’est pas si maligne que moi.

Chien Sauvage entra, rampant, dans la Caverne et mit sa tête sur les genoux de la Femme, disant :
— Ô mon Amie, Femme de mon Ami, j’aiderai ton Homme à chasser le jour, et la nuit je garderai la Caverne.
— Tiens, dit le Chat aux écoutes, voilà un bien sot Chien !

Et il repartit par les Chemins Mouillés du Bois Sauvage, en remuant la queue et tout seul. Mais il ne dit rien à personne.
Quand l’Homme se réveilla, il dit :
— Que fait Chien Sauvage ici ?

Et la Femme dit :
— Son nom n’est plus Chien Sauvage, mais Premier Ami ; car il sera maintenant notre ami à jamais et toujours. Prends-le quand tu vas à la chasse.

La nuit d’après, la Femme fut couper à grandes brassées vertes de l’herbe fraîche aux prés riverains et la sécha devant le feu. Cela fit une odeur de foin, et la Femme, assise à la porte de la Grotte, tressa un licol en lanières de cuir et regarda l’éclanche, le grand os de mouton plat, et fit un Sortilège. Elle fit le Second Sort qu’on eût fait sur la terre. Là-bas, dans les Bois Sauvages, tous les animaux se demandaient ce qui était arrivé à Chien Sauvage. À la fin, Poulain Sauvage frappa du pied et dit :
— J’irai voir et rapporter pourquoi Chien Sauvage n’est pas revenu. Chat, viens avec moi.
— Nenni ! dit le Chat. Je suis le Chat qui s’en va tout seul et tous lieux se valent pour moi. Je n’irai pas.

Mais, tout de même, il suivit Poulain Sauvage, tout doux, tout doux, à pas de velours, et se cacha pour mieux entendre.

Quand la Femme entendit Poulain Sauvage qui butait en marchant sur sa longue crinière, elle rit et dit :
— Voici le second. Sauvage enfant du Bois Sauvage, que me veux-tu ?

Poulain Sauvage dit :
— Ô mon Ennemie, Femme de mon Ennemi, où est Chien Sauvage ?

La Femme rit, ramassa l’éclanche et le regarda, puis dit :
— Sauvage Enfant du Bois Sauvage, tu n’es pas venu pour Chien Sauvage, mais pour le foin qui sent bon.

Et Poulain Sauvage, qui butait en marchant sur sa longue crinière, dit :
— C’est vrai ; donne-m’en à manger.

La Femme dit :
— Sauvage Enfant du Bois Sauvage, courbe la tête et porte le présent que je te donne ici ; à ce prix, mangeras-tu l’herbe merveilleuse trois fois le jour ?
— Ah ! dit le Chat aux écoutes, voici une Femme très maligne ; mais elle n’est pas aussi maligne que moi.

Poulain Sauvage courba la tête et la Femme glissa par-dessus le licol de cuir tressé, et Poulain Sauvage souffla sur les pieds de la Femme et dit :
— Ô ma Maîtresse, Femme de mon Maître, je serai ton esclave à cause de l’herbe merveilleuse.
— Ah ! dit le Chat aux écoutes, voilà un sot Poulain.

Et il s’en retourna par les Chemins Mouillés du Bois Sauvage, en remuant la queue et tout seul. Mais il ne dit rien à personne.

Quand l’Homme et le Chien revinrent de la chasse, l’Homme dit :
— Que fait le Poulain Sauvage ici ?

Et la Femme dit :
— Il ne s’appelle plus Poulain Sauvage, mais Premier Fidèle ; car il nous portera de place en place, désormais et toujours. Monte sur son dos, quand tu vas à la chasse.

Le jour après, la tête haute pour que ses cornes ne se prennent pas aux branches des arbres sauvages, Vache Sauvage vint à la Caverne, et le Chat suivit, se cachant comme avant ; et tout arriva tout à fait comme avant ; et le Chat dit les mêmes choses qu’avant ; et quand Vache Sauvage eut promis son lait à la Femme tous les jours, en échange de l’herbe merveilleuse, le Chat s’en retourna par les Chemins Mouillés du Bois Sauvage, en remuant la queue et tout seul, juste comme avant. Mais il ne dit rien à personne. Et quand l’Homme, le Cheval et le Chien revinrent de la chasse et demandèrent les mêmes questions qu’avant, la Femme dit :
— Son nom n’est plus Vache Sauvage, mais Nourricière du Logis. Elle nous donnera le bon lait tiède et blanc, désormais et toujours, et je prendrai soin d’elle, pendant que toi, Premier Ami et Premier Fidèle vous serez à la chasse.

Le jour après, le Chat attendit voir si quelque autre Chose Sauvage s’en irait à la Caverne ; mais rien ne bougea dans les Chemins Mouillés du Bois Sauvage. Alors le Chat s’en fut tout seul, et il vit la Femme qui trayait la Vache, et il vit la clarté du feu dans la Caverne, et il sentit l’odeur du lait tiède et blanc.

Chat dit :
— Ô mon Ennemie, Femme de mon Ennemi, où Vache Sauvage est-elle allée ?

La Femme rit et dit :
— Sauvage Enfant du Bois Sauvage, retourne au Bois d’où tu viens, car j’ai rattaché mes cheveux, j’ai serré l’éclanche magique, et nous n’avons plus besoin, dans notre Caverne, d’amis ni de serviteurs.

Chat dit :
— Je ne suis pas un ami et je ne suis pas un serviteur. Je suis le Chat qui s’en va tout seul, et je désire entrer dans votre Grotte.

La Femme dit :
— Alors, pourquoi n’es-tu pas venu la première nuit avec Premier Ami ?

Chat se fâcha très fort et dit :
— Chien Sauvage a-t-il fait des contes sur moi ?

Alors la Femme rit et dit :
— Tu es le Chat qui s’en va tout seul, et tous lieux se valent pour toi. Tu n’es ami ni serviteur. Tu l’as dit toi-même. Va-t’en donc, puisque tous lieux se valent, te promener à ton gré.

Alors Chat fit semblant de regretter et dit :
— N’entrerai-je donc jamais dans la Grotte ? Ne m’assoirai-je jamais près du feu qui tient chaud ? Ne boirai-je jamais le lait tiède et blanc ? Vous êtes très sage et très belle. Vous ne devriez pas faire de mal, même à un Chat.

La Femme répondit :
— Je savais que j’étais sage ; mais belle, je ne savais pas. Soit. Nous ferons un marché. Si jamais je prononce un seul mot à ta louange, tu pourras entrer dans la Grotte.
— Et si tu en prononces deux ? dit le Chat.
— Cela n’arrivera jamais, dit la Femme ; mais si je prononce deux mots à ta louange, tu pourras t’asseoir près du feu dans la Grotte.
— Et si tu dis trois mots ? dit le Chat.
— Jamais cela n’arrivera, dit la Femme ; mais si je dis trois mots à ta louange, tu pourras laper le lait tiède et blanc trois fois le jour, à jamais.

Alors le Chat fit le gros dos et dit :
— Que le rideau qui ferme la Grotte, le Feu qui brûle au fond et les pots à lait rangés près du Feu soient témoins de ce qu’a juré mon Ennemie, Femme de mon Ennemi.

Et il s’en alla par les Chemins Mouillés des Bois Sauvages, remuant la queue et tout seul.

Cette nuit-là, quand l’Homme, le Cheval et le Chien revinrent de la chasse, la Femme ne leur parla pas du marché qu’elle avait fait avec le Chat, parce qu’elle avait peur qu’il ne leur plût point.

Chat s’en alla très loin et se cacha parmi les Mousses Mouillées des Bois Sauvages, tout seul, à son gré, pendant très longtemps, si long que la Femme n’y pensa plus. Seule, la Chauve-Souris, la petite Souris-Chauve, qui pendait tête en bas à l’intérieur de la Grotte, sut où il se cachait, et, tous les soirs, s’en allait voletant lui porter les nouvelles.

Un soir, Chauve-Souris dit :
— Il y a un Bébé dans la Grotte. Il est tout neuf, rose, gras et petit, et la Femme en fait grand cas.
— Ah ! dit le Chat aux écoutes ; et le Bébé, de quoi fait-il cas ?
— Il aime les choses moelleuses, douces et qui chatouillent. Il aime des choses tièdes à tenir dans les bras en s’endormant. Il aime qu’on joue avec. Il aime tout cela.
— Ah ! dit le Chat aux écoutes ; alors mon temps est venu.

La nuit après, Chat s’en vint par les Chemins Mouillés du Bois Sauvage et se cacha tout contre la Grotte jusqu’au matin où l’Homme, le Cheval et le Chien partirent pour la chasse. La Femme faisait la cuisine, ce matin-là, et le Bébé pleurait et l’empêchait de travailler. C’est pourquoi elle le porta hors de la Grotte et lui donna une poignée de cailloux pour jouer. Mais le Bébé continua de pleurer.

Alors le Chat avança sa patte pelote et toucha la joue du Bébé, qui fit risette ; et le Chat se frotta contre les petits genoux dodus et chatouilla du bout de la queue sous le petit menton gras, et le Bébé riait. Et la Femme, l’entendant, sourit.

Alors la Chauve-Souris, la petite Souris-Chauve qui pendait la tête en bas, dit :
— O mon Hôtesse, Femme de mon Hôte et Mère du Fils de mon Hôte, un sauvage enfant des Bois Sauvages est là qui joue très bellement avec votre Bébé.
— Béni soit-il, quelque nom qu’on lui donne, dit la Femme en se redressant. J’avais fort à faire ce matin et il m’a rendu service.

À cette même minute et seconde, Mieux Aimée, la Peau de cheval séchée qui pendait, la queue en bas, devant la porte de la Caverne, tomba 'wouch !' à cause qu’elle se rappela le marché conclu avec le Chat ; et quand la Femme alla pour la raccrocher, vrai comme je le dis, voilà qu’elle vit le Chat installé bien aise dans la Grotte.
— Ô mon Ennemie, Femme de mon Ennemi et Mère de mon Ennemi, dit le Chat, c’est moi ; car tu as prononcé un mot à ma louange, et maintenant je puis rester dans la Grotte, désormais et toujours. Pas moins, je suis le Chat qui s’en va tout seul, et tous lieux se valent pour moi.

La Femme fut très en colère et serra les lèvres et prit son rouet et se mit à filer.

Mais le Bébé pleurait que le Chat fût parti et la Femme n’arrivait plus à le faire taire, car il gigotait et se débattait et devenait violet.
— Ô mon Ennemie, Femme de mon Ennemi et Mère de mon Ennemi, dit le Chat, prends un bout du fil que tu files, attache-le à ton fuseau et laisse-le traîner par terre, et je te montrerai une Magie qui fera rire ton Bébé aussi fort qu’il pleure à présent.
— Je vais le faire, dit la Femme, parce que je suis à bout, mais je ne te dirai pas merci.

Elle attacha le fil au petit fuseau d’argile et le fit traîner par terre ; alors le Chat courut après et lui donna des coups de patte et fit des culbutes et l’envoya par-dessus son épaule et le poursuivit entre ses pattes de derrière et fit semblant de le perdre, et fonça dessus de nouveau jusqu’à ce que le Bébé rît aussi fort qu’il avait pleuré et jouât d’un bout de la grotte à l’autre tant qu’il fut las et s’installa pour dormir avec le Chat dans ses bras.
— Maintenant, dit Chat, je chanterai au Bébé une chanson qui l’empêchera de s’éveiller d’une heure.

Et il se mit à ronronner tout bas, tout doux, tout doux, tout bas, jusqu’à ce que le Bébé s’endormît.

La Femme sourit et les regarda tous deux et dit :
— Voilà qui fut très bien fait. Nul doute que tu sois très habile, ô Chat.

À la minute, à la seconde, Mieux Aimée, la fumée du Feu au fond de la Grotte descendit tout à coup de la voûte 'poff !' parce qu’elle se rappelait le marché fait avec le Chat, et quand elle se dissipa, vrai comme je le dis, voici le Chat installé bien aise auprès du feu !
— Ô mon Ennemie, Femme de mon Ennemi, et Mère de mon Ennemi, c’est moi ; car pour la seconde fois tu as parlé à ma louange, et maintenant j’ai droit de me mettre auprès du feu qui tient chaud, désormais et toujours. Pas moins, je suis le Chat qui s’en va tout seul, et tous lieux se valent pour moi.

Alors la Femme fut très en colère et défit ses cheveux et remit du bois sur le feu et sortit le grand os d’éclanche et se mit à faire un sortilège qui l’empêchât de dire un troisième mot à la louange du Chat. Ce n’était pas une magie à musique, Mieux Aimée, c’était une magie muette ; et bientôt il fit si tranquille dans la Grotte, qu’un petit, tout petit bout de souris sortit d’un coin noir et traversa en courant.
— Ô mon Ennemie, Femme de mon Ennemi et Mère de mon Ennemi, dit le Chat, cette petite souris fait-elle partie de ton sortilège ?
— Hou ! Oh ! là là ! Au secours !. Non, certes, dit la Femme en laissant tomber l’éclanche et en sautant sur l’escabeau devant le feu et en rattachant ses cheveux dare-dare, de peur que la souris n’y grimpât.
— Ah ! dit le Chat ouvrant l’œil. Alors la souris ne me fera pas de mal si je la mange ?
— Non, dit la Femme, en rattachant ses cheveux, mange-la vite et je t’en serai reconnaissante à jamais.

Chat ne fit qu’un bond et goba la petite souris. Alors la Femme dit :
— Merci mille fois. Le Premier Ami lui-même n’attrape pas les petites souris aussi vivement. Tu dois être très habile.

À la minute, à la seconde, Mieux Aimée, le Pot à Lait qui chauffait devant le feu se fendit en deux 'ffft !' parce qu’il se rappela le marché conclu avec le Chat ; et quand la Femme sauta à bas de l’escabeau, vrai comme je le dis ! voilà le Chat qui lapait le lait tiède et blanc resté au creux d’un des morceaux.
— Ô mon Ennemie, Femme de mon Ennemi et Mère de mon Ennemi, dit le Chat, c’est moi. Car tu as dit trois mots à ma louange et, maintenant, je pourrai boire le lait tiède et blanc trois fois le jour à tout jamais. Mais, pas moins, je suis le Chat qui s’en va tout seul et tous lieux se valent pour moi.

Alors la Femme rit et mit devant le Chat un bol de lait tiède et blanc et dit :
— Ô Chat, tu es aussi habile qu’un homme, mais souviens-toi, ton marché ne fut conclu avec l’Homme ni le Chien, et je ne sais pas ce qu’ils feront en rentrant.
— Que m’importe, dit le Chat. Pourvu que j’aie ma place dans la Grotte, près du feu et mon lait tiède et blanc trois fois le jour, je ne me soucie pas de l’Homme ni du Chien.

Ce soir-là, quand l’Homme et le Chien rentrèrent dans la Grotte, la Femme leur dit l’histoire du marché, tandis que le Chat, assis au coin du feu ; souriait en écoutant. Alors l’Homme dit :
— Oui, mais il n’a pas fait de marché avec moi ni avec tous les Hommes qui me ressemblent.

Alors il retira ses deux bottes de cuir, il prit sa hachette de pierre (ce qui fait trois) et les rangea devant lui et dit :
— Maintenant nous ferons marché à notre tour. Si tu n’attrapes pas les souris tant que tu seras dans la Grotte à jamais et toujours, je te jetterai ces trois choses partout où je te verrai, et de même feront après moi tous les Hommes qui me ressemblent.
— Ah ! dit la Femme aux écoutes, tu es un très habile Chat, mais pas autant que mon Homme.

Le Chat compta les trois choses (elles avaient l’air très dures et bosselées), et il dit :
— J’attraperai des souris tant que je serai dans la Grotte à jamais et toujours ; mais, pas moins, je suis le Chat qui s’en va tout seul et tous lieux se valent pour moi.
— Pas tant que je serai par là, dit l’Homme. Si tu n’avais pas dit ces derniers mots, j’aurais serré ces choses pour jamais et toujours, mais à présent je te jetterai mes deux bottes et ma hachette de pierre (ce qui fait trois) toutes les fois que je te rencontrerai. Et ainsi feront après moi tous les Hommes qui me ressemblent.

Alors le Chien dit :
— Attends une minute. Il n’a pas fait marché avec moi ni avec tous les Chiens qui me ressemblent.

Et il montra les dents et dit :
— Si tu n’es pas gentil pour le Bébé pendant que je suis dans la Grotte, je te courrai après jusqu’à ce que je t’attrape, et quand je t’attraperai je te mordrai. Et ainsi feront avec moi tous les Chiens qui me ressemblent.
— Ah ! dit la Femme aux écoutes. C’est là un très habile Chat, mais pas autant que le Chien.

Chat compta les crocs du Chien (ils avaient l’air très pointus), et il dit :
— Je serai gentil pour le Bébé tant que je serai dans la Grotte et pourvu qu’il ne me tire pas la queue trop fort, à jamais et toujours. Mais, pas moins, je suis le Chat qui s’en va tout seul et tous lieux se valent pour moi !
— Pas tant que je suis là, dit le Chien. Si tu n’avais pas dit ces derniers mots, j’aurais refermé ma gueule pour toujours et jamais ; mais à présent je te ferai grimper aux arbres en quelque endroit que je te trouve. Et ainsi feront après moi tous les Chiens qui me ressemblent.

Alors l’Homme jeta ses deux bottes et sa hachette de pierre (ce qui fait trois), et le Chat s’enfuit hors de la Grotte et le Chien courut et le fit monter aux arbres ; et de ce jour à celui-ci, Mieux Aimée, trois Hommes sur cinq ne manqueront jamais de jeter des choses à un Chat quand ils le rencontrent, et tous les Chiens courront après et le feront grimper aux arbres. Mais le Chat s’en tient au marché de son côté pareillement. Il tuera les souris, il sera gentil pour les Bébés tant qu’il est dans la maison et qu’ils ne lui tirent pas la queue trop fort. Mais quand il a fait cela, entre-temps, et quand la lune se lève et que la nuit vient, il est le Chat qui s’en va tout seul et tous lieux se valent pour lui. Alors il s’en va par les Chemins Mouillés du Bois Sauvage, sous les Arbres ou sur les Toits, remuant sa queue, solitaire et sauvage.

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